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INTRODUCTION.

lugubre qui déjà menaçait le petit-fils de Marie Stuart, et Malvolio bafoué n’allait être que trop vengé par l’échafaud de White-Hall.

Ce que vous voudrez, joué le 2 février 1602, à une représentation d’amateurs, par les étudiants de Middle-Temple, était évidemment écrit dès le commencement du dix-septième siècle. Certes, à cette époque, Shakespeare ne pouvait pas même soupçonner le sombre drame historique qui devait avoir pour dénoûment l’exécution de Charles Ier. Il ne pouvait prévoir la série d’événements extraordinaires qui devaient livrer la monarchie absolue au parti puritain. Mais l’ascendant sans cesse croissant de cette secte n’avait pu échapper à son génie observateur. Les puritains creusaient depuis vingt ans une sape redoutable dans les profondeurs de la société britannique, ils agissaient déjà sur la Chambre des communes ; répandus dans les provinces et dans la métropole, ils dominaient de leur influence un grand nombre de corporations municipales. C’étaient eux qui, par leurs dénonciations, avaient fait proscrire de la Cité de Londres la plupart des théâtres, et forcé la troupe de Globe à émigrer par delà la Tamise, dans le faubourg de Southwaak. Chrétiens judaïques, les puritains confondaient dans le même anathème les choses les plus odieuses et les choses les plus sacrées, le papisme catholique et l’immortelle philosophie, le papisme anglican et la pensée libre, la superstition et l’art, le confessionnal et le théâtre, le mensonge et la poésie. L’outrage qu’ils crachaient sur Torquemada, ils le jetaient à la face de Michel-Ange. Incurables aveugles, ils prenaient pour le faux le beau, cette splendeur du vrai. Voulez-vous avoir une idée de cette cécité implacable ? L’un d’entre eux, Philipp Stubbes, dans un pamphlet réimprimé en 1595 : The anatomy of abuses, proclamait que « les romans étaient