Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1873, tome 14.djvu/42

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
38
LES FARCES.

L’affinité de traits et de goûts crée entre les jumeaux une sympathie en quelque sorte irrésistible, et en fait des inséparables. Ils sont tellement pareils qu’ils souffrent d’être dépareillés. L’éloignement les décomplète ; dès qu’ils se sont perdus, ils se cherchent : si celui-ci s’en va, celui-là le suit, fût-ce dans la tombe. Le dernier soupir de l’un est généralement l’agonie de l’autre ; ils ont peine à se survivre ; nés ensemble, ils veulent instinctivement mourir ensemble. Ils sont ici-bas l’expression suprême de la fraternité. L’atroce raison d’État a pu seule fournir des exceptions à cette règle d’amour. Il a fallu toute la violence du principe monarchique pour diviser les deux jumeaux mis au monde par Anne d’Autriche et pour faire de l’un le geôlier de l’autre. À moins de remonter jusqu’aux temps fabuleux, on ne trouverait pas un autre exemple d’un si monstrueux fratricide. Et encore Romulus assassinant Remus est-il moins horrible que Louis le Grand étouffant lentement l’homme au Masque de fer.

Ces cas royalement hideux sont rares. Livrés à eux-mêmes, abandonnés à leur instinct, les jumeaux s’aiment invinciblement. Cette fraternité profonde, que le mythe grec a déifiée dans l’union sidérale de Castor et de Pollux, fait le sujet d’une des œuvres les plus célèbres de la littérature latine, les Ménechmes. Écoutez la comédie de Plaute :

Un marchand de Syracuse a eu deux enfants jumeaux. Ces enfants, parfaitement semblables de taille, de tournure et de visage, ont été séparés dès l’âge de sept ans. L’un, que son père avait emmené aux jeux de Tarente, a été volé dans la foule et emmené à Épidamnum par un riche citoyen qui, avant de mourir, l’a adopté, l’a institué son héritier et l’a marié richement dans sa ville. L’autre, resté au pays natal avec son grand-père, a reçu