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LE SOIR DES ROIS ou CE QUE VOUS VOUDREZ.

SCÈNE XVIII.
[Le jardin d’Olivia.]
Entre Sébastien.
sébastien.

— Voici bien le grand air ; voilà bien le glorieux soleil. — Cette perle qu’elle m’a donnée, je la sens, je la vois ; — et qu’elle que soit l’extase qui m’enivre ainsi, — ce n’est pas de la folie… Où est donc Antonio ? — Je n’ai pas pu le trouver à l’Éléphant ; — pourtant il y a été, et j’ai reçu là avis — qu’il était allé parcourir la ville pour me chercher. — Ses utiles conseils en ce moment auraient été de l’or pour moi ; — car mon intelligence, aidée de mes sens, a beau se rendre compte — qu’il y a ici quelque erreur, et non de la folie ; — pourtant cet accident, ce déluge de bonnes fortunes, — est tellement inouï, tellement inexplicable — que je serais tenté de n’en pas croire mes yeux — et de quereller ma raison qui se refuse — à admettre que je sois fou — ou que cette dame soit folle ; mais, si elle l’était, — elle ne pourrait pas gouverner sa maison, commander à ses gens, — prendre en main les affaires et les renvoyer dûment expédiées — avec ce calme, cette mesure, cette fermeté — que je remarque dans toute sa conduite ; il y a là-dessous — quelque énigme… Mais voici la dame.

Entrent Olivia et un prêtre.
OLIVIA.

— Ne blâmez pas cette précipitation. Si vos intentions sont bonnes, — venez maintenant avec moi et avec ce saint homme — à la chapelle voisine ; là, en sa présence, — et sous ce toit consacré, — engagez-moi votre foi en pleine assurance, — de sorte que mon âme trop jalouse