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LES FARCES.

entre la qualité et la roture, l’esquire. — Cet autre enfin Falstaff, capitaine encanaillé, banneret délabré, gentilhomme gueux, homme d’épée à la retraite, frère d’armes dégénéré des preux et des paladins, c’est le type moderne de l’antique race conquérante, la dernière incarnation de l’aristocratie primordiale, le chevalier.

Tous ces personnages si bien dessinés, dont chacun représente une classe : — l’hôtelier, le médecin, le curé, le juge, le bourgeois, l’esquire, le chevalier, — se meuvent, s’agitent, se coudoient, s’irritent, se provoquent, se dupent et se bafouent dans une mêlée bouffonne, qu’une étincelante gaîté illumine d’un bout à l’autre. L’action, que doit terminer une mascarade, commence par un gala. Un dîner, dont la pièce de résistance est un pâté de venaison envoyé par Shallow, réunit chez Page presque tout le personnel de la comédie. C’est dans cette réunion joyeuse que se nouent les deux intrigues principales, l’une qui doit aboutir à la déconvenue de Slender, l’autre qui doit se terminer par l’humiliation de Falstaff. Tandis que, d’un côté, un groupe composé du juge Shallow, du curé Evans et de maître Page complote le mariage de la jolie Anne avec cet esquire imbécile, de l’autre le chevalier besoigneux rumine le projet de se faire entretenir par mistress Page et mistress Gué, qu’il honorera en même temps de ses faveurs gentilhommières. Les deux bourgeoises, qui reçoivent du chevalier le même billet doux, sont scandalisées de tant d’impertinence, et résolvent de châtier le gros paillard en lui donnant un rendez-vous où il sera berné d’importance. Mais cette amusante contre-intrigue, ourdie par les deux matrones pour déjouer l’intrigue de leur aspirant séducteur, n’a pas suffi au génie bouffon de Shakespeare. Le poëte a doublé la puissance de l’imbroglio, en provoquant contre Falstaff la jalousie d’un des