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SCÈNE IX.

viola.

— Trop bien quel amour les femmes peuvent avoir pour les hommes ; — en vérité, elles ont le cœur aussi généreux que nous. — Mon père avait une fille qui aimait un homme, — comme moi, par aventure, si j’étais femme, — je pourrais aimer Votre Seigneurie.

le duc.

Et quelle est son histoire ?

viola.

— Un long effacement, monseigneur. Jamais elle n’avoua son amour ; — elle en laissa le secret, comme le ver dans le bourgeon, — ronger les roses de ses joues ; elle languit dans sa pensée ; — jaunie, verdie par la mélancolie, — elle s’inclina, comme la Résignation sur une tombe — souriant à la Douleur. N’était-ce pas là de l’amour ? — Nous autres hommes, nous pouvons parler davantage, jurer davantage ; mais, en vérité, — nos démonstrations outrepassent nos sentiments ; car, en définitive, nous sommes — fort prodigues de protestations, mais peu prodigues d’amour.

le duc.

— Mais ta sœur est-elle morte de son amour, mon enfant ?

viola.

— Je suis toute la famille de mon père, à la fois toutes ses filles — et tous ses fils… Et pourtant je ne sais… — Monsieur, irai-je chez cette dame ?

le duc.

Oui, voilà ce dont il s’agit. — Vite chez elle ! Donne-lui ce bijou ; dis-lui — que mon amour ne peut ni céder la place ni supporter un refus.

Ils sortent.