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LA COMÉDIE DES ERREURS.

SCÈNE VI.
[Même lieu.]
Entrent Luciana et Antipholus de Syracuse.
luciana.

— Et est-il possible que vous ayez oublié si complètement — les devoirs d’un mari ? Se peut-il, Antipholus, — que la fleur printanière de votre amour pourrisse à son printemps ? — L’amour peut-il menacer ruine avant d’être édifié ? — Si vous avez épousé ma sœur pour sa fortune, — traitez-la avec plus d’égards, ne fût-ce qu’à cette considération. — Ou bien, si vous aimez ailleurs, aimez en secret ; — masquez votre amour perfide d’une aveuglante apparence ; — que ma sœur ne lise pas dans vos yeux. — Que votre langue ne soit pas l’organe de votre propre honte ; — ayez l’air tendre et la parole douce, parez la déloyauté ; — habillez le vice comme le héraut de la vertu ; — ayez un front pur, si taré que soit votre cœur ; — donnez au péché l’attitude d’un saint ; — soyez discrètement trompeur. À quoi bon lui tout révéler ? — Quel voleur est assez simple pour se vanter de son forfait ? — Vous êtes doublement coupable d’être infidèle à votre lit, — et de lui laisser lire à table dans vos regards. — La honte, bien ménagée, obtient une considération bâtarde ; — les mauvaises actions sont doublées par une mauvaise parole. — Hélas ! pauvres femmes, faites-nous seulement croire, — crédules comme nous le sommes, que vous nous aimez : — si d’autres on le bras, montrez-nous la manche. — Nous tournons dans votre mouvement, et vous nous émouvez à votre gré. — Ainsi, mon gentil frère, rentrez ; — consolez ma sœur, rassurez-la, appelez-la votre femme. — C’est une sainte manœuvre que d’être un peu