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LA PATRIE.

absolu. L’auteur responsable de cette terminaison, ce n’est pas Shakespeare, ce n’est pas même Ben Jonson, c’est le despotisme, car c’est le despotisme qui l’a dictée.

Au surplus, la censure des Stuarts ne borna pas là ses rigueurs. Non contente d’avoir affublé le drame de Shakespeare d’un dénoûment postiche agréable à la royauté, elle s’opposa longtemps à ce que ce drame prît le titre sous lequel il est aujourd’hui connu. — Déjà, depuis l’avènement de Jacques Ier, une pièce d’un certain Samuel Rowley, enregistrée en 1504 au Stationers’Hall sous cette appellation : l’Intermède du roi Henry VIII, avait été pendant une année retenue par les censeurs, et n’avait pu être publiée par l’éditeur Nathaniel Butter qu’en 1605 avec cette suscription nouvelle : « When you see me you know me. Quand vous me voyez, vous me recoanaissez. » Le nom, aujourd’hui si odieux, de Henry VIII était encore regardé comme trop sacré pour qu’il fût permis de le faire figurer en tête d’un ouvrage dramatique ou sur une affiche de théâtre. Pour que le drame de Shakespeare fût autorisé à paraître, il fallut donc lui donner dans l’origine une désignation qui ne provoquât pas les susceptibilités de la police ; et voilà pourquoi ce drame, imprimé pour la première fois en 1623, comme La vie du roi Henry VIII, fut représenté en 1613 sous ce titre modeste et prudent : All is true, Tout est véritable. La pièce nouvelle, garantie par tant de précautions contre les violences du pouvoir, fut montée par la troupe du Globe avec un luxe qui surprit grandement le public d’alors. Il paraît même que les hommes de cour furent quelque peu choqués d’un spectacle qui avilissait dans une parade populaire les plus illustres insignes de la hautaine aristocratie anglaise ; peu de temps après la première représentation, sir Henry Wotton