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INTRODUCTION.

sante, tuméfié par le bien-être bestial, cloué par l’obésité sur la chaise percée impériale, brusque, violent, infatué, irascible par pédanterie, implacable par dévotion, effroyable en conscience, priant, sermonnant, blasphémant, écumant, et content de lui-même. Mais, au temps de Shakespeare, on n’était pas libre de voir ainsi Henry VIII. Chacun pouvait rappeler ses actes, mais sous peine de les louer. Un historien, bien souvent consulté par Shakespeare, le chroniqueur Hall, ayant raconté le règne du second des Tudors, dut l’intituler : Le règne triomphant du roi Henry VIII. The triumphing reign of King Henry the Eight. Henry VIII n’était-il pas le père de la reine Élisabeth marraine du roi Jacques Ier ? Bien osé eût été l’annaliste qui eût hasardé un murmure contre ce personnage sacré. Alors, pour tous, Henry VIII était et devait être un prince sage, habile, pieux, savant et éclairé. Henry VIII n’avait-il pas détruit les repaires de la superstition en sécularisant les couvents catholiques ? N’avait-il pas renversé les idoles, en confisquant les châsses des madones et des saints ? N’avait-il pas fixé les vrais principes du dogme en modifiant le catéchisme papiste ? N’avait-il pas, en proclamant la suprématie de la royauté en matière religieuse, soustrait l’Angleterre à la domination odieuse de la cour de Rome, et fondé l’Église nationale en chassant l’étranger ? Que de bienfaits ! Que de titres à la reconnaissance publique ! Les contemporains de Shakespeare eussent été en vérité bien ingrats de ne pas aimer un tel prince ! Ils devaient vénérer en lui le libérateur de la patrie, le défenseur de la foi, l’antagoniste triomphant de l’idolâtrie, le vainqueur de la Babylone romaine, le modérateur de l’hérésie, l’orthodoxie régnante ! Le gouvernement de Henry VIII était inattaquable. Critiquer ce gouvernement, c’était critiquer la monarchie dans son essence. Henry VIII n’était pas