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LA PATRIE.

à peine échappée des barricades, elle rentrait au théâtre avec toute la rigueur de la pruderie doctrinaire ; plus que jamais susceptible, elle se scandalisait au nom des Valois comme naguère en l’honneur des Bourbons, et elle prohibait le Roi s’amuse pour protéger la vertu de François Ier.

Si, de nos jours, sous un gouvernement constitutionnel, l’art a pu rencontrer de tels obstacles ; si, pour avoir montré dans sa réalité historique un prince appartenant à une dynastie éteinte depuis longtemps, un auteur moderne a pu voir son œuvre frappée d’un arrêt de proscription, à quels périls n’était pas exposé l’écrivain qui, sous la monarchie la plus despotique, tentait de faire figurer au théâtre un roi presque contemporain ! Si en France, après 1830, il y avait témérité à prendre pour personnage François Ier, mort depuis près de trois cents ans, combien était hardi le poëte anglais qui, au commencement du dix-septième siècle, tentait de mettre en scène Henry VIII, mort depuis soixante ans à peine ! Quelle audace n’y avait-il pas à exhiber sur des tréteaux ce formidable Tudor que les vieillards tremblants se rappelaient avoir vu, et dont la tyrannie était encore l’épouvante de toutes les mémoires !

Les générations modernes sont à leur aise pour juger Henry VIII ; elles peuvent impunément apprécier ses actes, qualifier ses vices, énumérer ses crimes ; elles peuvent compter les gibets qu’il a élevés, les échafauds qu’il a dressés, les bûchers qu’il a allumés ; elles peuvent plaindre toutes ses victimes ; elles peuvent pleurer sur toutes les têtes illustres, vénérables et charmantes qu’il a fait tomber ; elles peuvent montrer au doigt ce Barbe-Bleue couronné qui dévora six femmes ; elles peuvent exposer dans sa turpitude repoussante ce monarque goutteux, à l’œil stupide, à la face bouffie et lui-