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Knight le sentiment public est resté d’accord avec l’opinion de Malone. Pour mon humble part, si j’étais admis à faire partie d’un jury chargé de prononcer en dernier ressort sur ce cas litigieux, je n’hésiterais pas à confirmer le jugement prononcé par le critique du dix-huitième siècle. Tout au plus, si l’on y insiste, puis-je reconnaître la main de Shakespeare dans quelques scènes de cette pièce : les funérailles de Henry V, l’altercation à propos des deux Roses dans le jardin du Temple, la mort de Talbot et de son fils, l’entrevue de Suffolk et de Marguerite, la conférence finale où le roi d’Angleterre accepte pour femme la fille de René. Mais comment croire, avec M. Knight, que Shakespeare, dans l’intervalle de 1586 à 1591, ait conçu tout entière une rapsodie si incohérente ? Comment croire que le jeune poëte, déjà capable de composer l’étonnante esquisse d’Hamlet et la charmante comédie des Deux Gentilshommes de Vérone, ait pu imaginer la caricature niaise qui porte le nom de Jeanne d’Arc ? Je défie l’enthousiaste le plus complaisant de citer dans le rôle entier de la Pucelle plus de quatre ou cinq vers dignes d’être attribués à Shakespeare.

Mais, objectera quelque récalcitrant, si Shakespeare est resté, comme vous le dites, presque complètement étranger à La première partie de Henry VI, comment se fait-il qu’elle figure dans l’in-folio de 1623 parmi les œuvres authentiques du maître ? Il y a là un problème littéraire que je vais essayer de résoudre en groupant les rares documents recueillis jusqu’ici.

Et d’abord, le journal du chef de troupe Philipp Henslowe[1] constate qu’au printemps de l’année 1591, à partir du 3 mars, les comédiens de lord Strange repré-

  1. Ce journal, aujourd’hui si intéressant, a été retrouvé dans le cours du siècle dernier au collége de Dulwich.