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« Le Dauphin de France répondit à notre ambassadeur que le roi était trop jeune et d’un âge trop tendre pour lui faire la guerre, et qu’il n’était pas probablement assez bon guerrier pour faire de telles conquêtes sur lui ; et, par dépit et bravade, il envoya au roi un tonneau plein de balles de paume, prétendant qu’il ferait beaucoup mieux de jouer avec ses lords que d’entreprendre aucune guerre. Et incontinent nos ambassadeurs prirent congé du Dauphin, et revinrent en Angleterre, et dirent au roi et à son conseil l’inconvenante réponse qu’ils avaient reçue du Dauphin et le présent que celui-ci envoyait au roi ; et quand le roi eut ouï ces paroles et la réponse du Dauphin, il fut prodigieusement outré et exaspéré contre les Français, et contre le roi et le Dauphin, et résolut de se venger ainsi que Dieu lui en donnerait la grâce et la force ; et immédiatement il fit faire des balles de paume pour le Dauphin avec toute la hâte possible ; et c’étaient de gros boulets à faire jouer le Dauphin. »

Si apocryphe que semble aujourd’hui cette anecdote, n’oublions pas que Shakespeare ne pouvait concevoir aucun doute sur son authenticité. La légende lui était attestée par les plus savants et les plus célèbres historiens de l’époque, Hall et Holinshed. Consacrée par la tradition écrite, elle l’était également par la tradition scénique. Le théâtre l’avait adoptée et popularisée, longtemps avant que Shakespeare composât son œuvre. Elle faisait un des principaux incidents de la pièce historique jouée vers 1580, Les fameuses victoires de Henry V. Voici la scène même à laquelle elle donnait lieu :

henry v.

Faites entrer monseigneur l’archevêque de Bourges.

Entre l’archevêque de Bourges.
henry v.

— Eh bien, seigneur archevêque de Bourges, — nous apprenons par notre ambassadeur — que vous avez un message à remplir auprès de nous — de la part de notre frère le roi de France. — Ici, selon notre coutume, mon bon seigneur, — nous vous donnons pleine liberté et licence de parler.

l’archevêque.

— Dieu garde le puissant roi d’Angleterre ! — Mon seigneur et maître, le Très-Chrétien — Charles septième, le grand et puissant roi de France comme un très-noble et très-chrétien roi, — ne voulant pas verser le sang innocent, est prêt — à faire quelques concessions à vos déraisonnables demandes. — Cinquante mille couronnes par an avec sa fille, — la dame Catherine, en mariage, — voilà tout ce qu’il accorde à votre déraisonnable désir.