I
Pour bien apprécier Henry V, pour bien saisir le sens
de cette œuvre vaillante, reportons-nous à l’époque où
écrivait l’auteur. Rappelons-nous ce qu’était à la fin du
seizième siècle la monarchie des Tudors. Par le cumul du
pouvoir spirituel et du pouvoir séculier, cette royauté
avait absorbé en elle la double autocratie de l’empire et
de la papauté. Elle avait fondu dans son sceptre le glaive
de César et les clefs de Pierre. C’était une autorité illimitée,
insondable, émanant d’en haut, trônant dans les
foudres et dans les rayons, au milieu d’une aveuglante
apothéose, s’étendant à perte de vue dans le ciel. Les potentats
d’Asie, qui assimilaient leur domaine au firmament
et en divisaient les provinces en constellations,
n’étaient pas plus absolus, plus redoutés, plus obéis, plus
déifiés que ne l’était en Angleterre, vers la fin du seizième
siècle, la petite-fille du gentilhomme campagnard Thomas
Boleyn. Élisabeth était l’objet d’un culte public.
Quand notre dame la reine survenait, portée en tête d’une
procession sur les épaules des grands, chamarrée de
brocard et de dentelles, couverte de joyaux et de pierreries,
toute la foule s’arrêtait et se prosternait contre le
pavé devant cette madone. On ne lui parlait qu’à genoux,
comme on parle à Dieu. Les vœux qu’on lui adressait
étaient des ex-voto. — Avenante et familière dans les commencements
de son règne, Élisabeth s’était systématiquement
éloignée de la nation, à mesure que son pouvoir
s’affermissait. Peu à peu elle s’était enfoncée dans le Saint
des Saints du droit divin. Elle y avait oublié son origine
à demi bourgeoise, sa naissance bâtarde, l’exécution infamante
de sa mère, sa propre captivité, son avénement