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CORIOLAN ET LE ROI LEAR.

le roi de gaule.

— Remerciez le ciel et non moi. Tel est mon zèle pour vous — que, quand vous m’ordonneriez le sacrifice suprême, jamais je ne vous marchanderais l’obéissance.

cordella.

— Un roi qui traite si tendrement sa femme, — ne saurait desservir le père de sa femme.

leir.

— Ah ! ma Cordella, je me rappelle à présent — la modeste réponse qui m’avait paru si ingrate ; — mais je vois, et je ne me trompe pas cette fois, — que tu m’aimes chèrement, et comme un enfant doit aimer. — Toi, Perillus, mon compagnon d’infortune, — Je ferai tout ce que je pourrai pour te récompenser ; — et, quoi que je fasse, je ne pourrai jamais — faire assez, si grand est ton dévouement. — Merci enfin à toi, noble Monfort. — Si je te salue le dernier, ce n’est pas que tes services aient été les moindres. — Non ! tu t’es comporté aujourd’hui comme un lion ; — tu as chassé les rois de Cambrie et de Cornouailles — qui, avec mes filles (ai-je dit mes filles ?), — ont pris la fuite pour sauver leur existence. — Allons ! mon fils, ma fille, vous qui avez dirigé ma marche, — reposez-vous un moment avec moi, et ensuite en France !

Tambour et trompettes. Tous sortent.
(Extrait de La Vraie Chronique du roi Leir.)

En vertu des lois rigoureuses qui gouvernent son théâtre, Shakespeare a dû rejeter de son œuvre le dénoûment heureux qui restitue la couronne au roi Lear. La fatalité tragique, qu’il reconnaissait comme la providence suprême du drame, s’opposait absolument à une pareille conclusion, et voilà pourquoi l’auteur y a substitué la sombre catastrophe où succombent le vieux roi et sa fille. Mais la pensée du poëte était trop profonde pour être comprise par les esprits superficiels. Aussi le scribe Nabum Tate, en remaniant l’œuvre de Shakespeare selon le goût de la cour de Jacques II, n’a-t-il pas manqué de condamner la terminaison funeste élaborée par le maître et d’y substituer un dénoûment qui altère complètement le sens de la pièce. Au lieu de périr après leur défaite, les augustes captifs sont délivrés dans leur prison par l’opportune intervention d’Edgar. Albany