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CORIOLAN ET LE ROI LEAR.

de magnanimité, non pas d’imbécillité et de faiblesse, laquelle pousse hors de la plus débile et plus passionnée partie de l’âme, le courroux, ni plus ni moins que la matière d’une apostume, il se retira en sa maison plein d’ire, de dépit et d’amertume, de colère à l’encontre du peuple, là où tous les jeunes gentilshommes, mêmement ceux qui étaient les plus courageux et qui avaient les esprits et les cœurs plus élevés pour la noblesse de leurs maisons, le suivirent, ayant bien accoutumé de tout temps de l’accompagner et honorer ; mais encore plus ils se rangèrent autour de lui, et lui faisant compagnie mal à propos, lui aigrirent et enflammèrent sa colère encore davantage, en se plaignant et se doléant avec lui du tort qu’on lui avait fait, pour ce que c’était leur capitaine et leur maître qui les conduisait à la guerre et leur enseignait tout ce qui appartient à la discipline militaire, allumant tout doucement une contention d’honneur et de jalousie de vertu entre eux, sans envie, en louant ceux qui faisaient bien. En ces entrefaites, arriva grande quantité de blés à Rome, qui avaient été partie achetés en Italie, et partie envoyés de la Sicile en don par Gélon, le tyran de Syracuse, tellement que plusieurs conçurent bonne espérance, s’attendant que quand et la cherté des vivres, dût céder aussi la sédition civile.

Si fut incontinent le sénat assemblé et le menu peuple tout aussitôt épandu à l’entour du palais, où le conseil se tenait, attendant la résolution de ce qui s’y conclurait, se promettant que ce qui aurait été acheté se vendrait à fort bon marché et que ce qui aurait été donné se distribuerait aussi par tête sans en rien faire payer, mêmement pour ce qu’il y avait aucuns des sénateurs, qui étaient à ce conseil, qui suadaient d’ainsi le faire. Mais Martius, se dressant en pieds, reprit adonc aigrement ceux qui en cela voulaient gratifier à la commune, les appelant flatteurs du peuple et traîtres à la noblesse, et disant qu’ils nourrissaient et couvaient à l’encontre d’eux-mêmes de mauvaises semences d’audace et d’insolence qui jà avaient été jetées parmi le peuple, lesquelles ils devaient plutôt avoir suffoquées et étouffées à leur naissance s’ils eussent été bien conseillés, non pas endurer que le peuple