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SCÈNE XXII.

me mouiller, où le vent m’a fait claquer les dents, où le tonnerre a refusé de se taire sur mon ordre, alors j’ai reconnu, alors j’ai senti leur sincérité. Allez ! ce ne sont pas des gens de parole : à les entendre, j’étais tout ; c’est un mensonge : je ne suis pas à l’épreuve de la fièvre.

glocester.

— Je me rappelle le son de cette voix : — n’est-ce pas le roi ?

lear.

Oui, de la tête aux pieds, un roi ! — Sous mon regard fixe voyez comme mes sujets tremblent ! — Je fais grâce de la vie à cet homme… Quel est ton délit ? — L’adultère ! — Tu ne mourras pas. Mourir pour adultère ! Non ! — Le roitelet s’accouple, et la petite mouche dorée — paillarde, sous mes yeux. — Laissons prospérer la copulation : le fils bâtard de Glocester — a été plus tendre pour son père que mes filles, — engendrées entre les draps légitimes. — À l’œuvre, luxure ! à la mêlée ! car j’ai besoin de soldats. — Voyez-vous là-bas cette dame au sourire béat, — dont le visage ferait croire qu’il neige entre ses cuisses, — qui minaude la vertu, et baisse la tête — rien qu’à entendre parler de plaisir ? — Le putois et l’étalon ne vont pas en besogne — avec une ardeur plus dévergondée. — Centaures au-dessous de la taille, femmes au-dessus ! Les dieux ne les possèdent que jusqu’à la ceinture ; au-dessous, tout est aux démons ! là, tout est enfer, ténèbres, gouffre sulfureux, incendie, bouillonnement, infection, consomption ! Fi, fi, fi, pouah ! pouah !… Donne-moi une once de civette, bon apothicaire, pour parfumer mon imagination. Voilà de l’argent pour toi.

glocester.

Ohl laissez-moi baiser cette main !

lear.

Laisse-moi d’abord l’essuyer ; elle sent la mortalité.