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LE ROI LEAR.

que je l’accapare toute. Quand j’en aurais le monopole, ils en voudraient leur part. Les dames, non plus, ne veulent pas me laisser le privilége de la folie : il faut qu’elles grappillent… (31) Donne-moi un œuf, m’n oncle, et je te donnerai deux couronnes.

lear.

Deux couronnes ! De quelle sorte ?

le fou.

Eh bien ! les deux couronnes de la coquille, après que j’aurai cassé l’œuf par le milieu et mangé le contenu. Le jour où tu as fendu ta couronne par le milieu pour en donner les deux moitiés, tu as porté ton âne sur ton dos pour passer le bourbier. Tu avais peu d’esprit sous ta couronne de cheveux blancs, quand tu t’es défait de ta couronne d’or. Ai-je parlé en fou que je suis ? Que le premier qui dira que oui reçoive le fouet !

Il chante.

Les fous n’ont jamais eu de moins heureuse année,
Car les sages sont devenus sots
Et ne savent plus comment porter leur esprit,
Tant leurs mœurs sont extravagantes.

lear.

Depuis quand, maraud, êtes-vous tant en veine de chansons ?

le fou.

Eh bien, m’n oncle, c’est depuis que tu t’es fait l’enfant de tes filles ; car, le jour où tu leur as livré la verge en mettant bas tes culottes

Chantant.

Soudain elles ont pleuré de joie,
Et moi j’ai chanté de douleur,
À voir un roi jouer à cligne-musette,
Et se mettre parmi les fous !

Je t’en prie, m’n oncle, trouve un précepteur qui ensei-