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SCÈNE I.

glocester.

J’obéis, mon suzerain.

Sortent Glocester et Edmond.
lear.

— Nous, cependant, nous allons révéler nos plus mystérieuses intentions… — Qu’on me donne la carte !

On déploie une carte devant le roi.

Sachez que nous avons divisé en — trois parts notre royaume, et que c’est notre intention formelle — de soustraire notre vieillesse aux soins et aux affaires — pour en charger de plus jeunes forces, tandis que — nous nous traînerons sans encombre vers la mort… Cornouailles, notre fils, — et vous, Albany, notre fils également dévoué, — nous avons à cette heure la ferme volonté de régler publiquement — la dotation de nos filles, pour prévenir dès à présent — tout débat futur(19). Quant aux princes de France et de Bourgogne, — ces grands rivaux qui, pour obtenir l’amour de notre plus jeune fille, — ont prolongé à notre cour leur séjour galant, — ils obtiendront réponse ici même… Parlez, mes filles : — en ce moment où nous voulons renoncer au pouvoir, — aux revenus du territoire comme aux soins de l’État, — faites-nous savoir qui de vous nous aime le plus, — afin que notre libéralité s’exerce le plus largement — là où le mérite l’aura le mieux provoquée… Goneril, — notre aînée, parle la première.

goneril.

Moi, sire, — je vous aime plus que les mots n’en peuvent donner — idée, plus chèrement que la vue, l’espace et la liberté, — de préférence à tout ce qui est précieux, riche ou rare, — non moins que la vie avec la grâce, la santé, la beauté et l’honneur, — du plus grand amour qu’enfant ait jamais ressenti ou père inspiré, — d’un amour qui rend le souffle misérable et la voix impuissante ; — je vous aime au-delà de toute mesure.