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INTRODUCTION.

gle, si malicieux, si mutin, si mauvais sujet, soit la séraphique créature dont Orlando a vu luire le sourire tutélaire pendant sa lutte avec l’athlète ? Rosalinde se plaît à garder l’incognito qui lui va si bien : elle met un adorable égoïsme à prolonger la douce mystification ; elle s’amuse à surprendre les secrets d’Orlando sans lui révéler les siens ; elle savoure avec délices ces confidences et ces épanchements, hommages involontaires qui lui sont rendus. Il faut lire et relire ces scènes exquises qui échappent à l’analyse par leur ineffable grâce. Avec quel art Rosalinde joue l’indifférence devant ces aveux à chacun desquels sa vie est suspendue ! Quelle énergie elle déploie pour ne pas répondre : et moi aussi, je t’aime ! Avec quelle héroïque coquetterie elle retient son cœur prêt à déborder ! Son masque de raillerie laisse entrevoir son œil humide. On entend dans son éclat de rire comme la saccade lointaine d’un sanglot étouffé. — Un jour cependant, la belle enfant finit par se heurter à ce jeu périlleux. Orlando, ordinairement si exact aux rendez-vous, se fait attendre depuis deux heures. Ganimède ne peut expliquer ce retard étrange. Quel accident a donc pu empêcher l’amoureux de venir ? Enfin un messager arrive, il apporte un mouchoir ensanglanté et raconte qu’Orlando a été blessé en luttant avec une lionne qui guettait un homme endormi. Cette fois l’émotion est trop forte pour pouvoir être comprimée. À la vue d’un sang si cher, le prétendu page chancelle : les forces lui manquent. Ganimède s’évanouit et Rosalinde paraît.

Devinez-vous quel est ce nouveau venu pour qui Orlando vient d’exposer ses jours ? C’est Olivier, Olivier qui, banni à son tour, a trouvé refuge dans la forêt ! Le misérable, s’étant affaissé sous un chêne, allait être dévoré par une bête féroce, quand Orlando est accouru