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INTRODUCTION.

le houx s’y acclimate à l’ombre du palmier. Dans ses taillis antédiluviens l’Arche a vidé toute sa ménagerie : le serpent de l’Inde rampe dans les hautes herbes qu’effleure le daim effaré ; le rugissement de la lionne y fait envoler un essaim de cerfs. — Là la guerre et la vanité humaines n’ont jamais été admises à bâtir leurs demeures : là, ni palais ni forteresses. Tout au plus, sur la lisière du bois, quelque humble toit de chaume. Le prince banni qui vit dans ces lieux, et qui jadis régna sur un duché puissant, y tient ses grands levers dans une grotte : « Eh bien, mes amis, mes frères d’exil, la vieille habitude n’a-t-elle pas rendu cette vie plus douce que celle d’une pompe factice ? Cette forêt n’est-elle pas plus exempte de dangers qu’une cour envieuse ? Ici nous ne subissons que la pénalité d’Adam, la différence des saisons… Doux sont les procédés de l’adversité : comme le crapaud venimeux, elle porte un précieux joyau dans sa tête. Cette existence à l’abri de la cohue publique révèle des voix dans les arbres, des livres dans les ruisseaux qui coulent, des leçons dans les pierres, le bien en toute chose. »

Quel contraste entre la forêt des Ardennes et les États du duc Frédéric ! Là-bas, la violence, le guet-apens, la dispute, la trahison, le meurtre à plaisir, le fratricide couronné. Ici, la douceur, l’urbanité, la causerie affable, l’hospitalité prévenante, la charité souveraine. Qu’un mendiant affamé se présente, et le vieux duc se lèvera pour faire au malheureux les honneurs de son repas frugal. Ici, plus d’étiquette : on est poli sans être obséquieux ; on est courtois, mais non courtisan. Plus de préjugé ni de prévention. L’homme a fait table rase du passé : il a raturé pour jamais cette informe ébauche sociale qui n’a de la civilisation que le nom, et il est revenu en pleine sauvagerie pour refaire sa vie d’après