Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1872, tome 8.djvu/55

Cette page a été validée par deux contributeurs.
51
INTRODUCTION.

les droits y sont opprimés ; le mérite y est disgrâce. « Ici les vertus ne sont que de célestes traîtresses, et la perfection empoisonne qui elle pare. » L’iniquité gouverne l’État comme la famille. Le duc régnant a usurpé la couronne sur son frère aîné qu’il a banni et la garde par la terreur. La contagion du fratricide s’étend de la cour à la cité. Tel suzerain tel vassal. — À l’instar du duc Frédéric, Olivier est un tyran domestique. Jaloux de son cadet Orlando, il lui a confisqué sa part d’héritage, il « a miné par l’éducation sa noblesse native, » il l’a élevé dans une ignorance crasse ; pour école il lui a donné une étable, et n’ayant pas réussi à faire de lui un manant, il a fait de lui son valet. La généreuse nature d’Orlando a résisté à ce traitement dégradant. L’adolescent a grandi et est devenu homme. Alors, si doux et si patient qu’il soit, Orlando ne peut plus supporter l’abjection où son aîné le relègue : il faut qu’Olivier lui restitue le millier d’écus que lui a légués son père, et il ira chercher fortune ailleurs. Olivier feint de consentir à cette réclamation, mais secrètement il complote la mort de son frère. Il stipendie le fameux boxeur Charles, et celui-ci s’engage à assommer le jeune gars dans un pugilat qui doit avoir lieu le lendemain au palais. — En effet, pour se désennuyer, le duc Frédéric a fait défier par son champion tous les jeunes gens de ses États et a convié sa cour à assister à cette lutte intéressante. Ce digne prince que la violence a fait souverain aime le spectacle de la violence ; il renouvellerait volontiers ces combats de gladiateurs qui charmaient les Nérons et les Héliogabales ; pour lui et pour ses pairs, c’est volupté de voir éventrer vivante une créature, de regarder sa cervelle jaillir et sa chair tomber par lambeaux, d’écouter ses gémissements et de savourer son agonie ! Aussi avec quel empressement Lebeau, maître des cérémonies du duc, accourt pour an-