— Oh ! Rosalinda, tu dois avoir pitié, — car Rosader est jeune et beau.
— Conquête plus belle qu’un royaume ou qu’une couronne !
— Oh ! la bonne foi est trahie, si Rosader me trompe.
— Puissent les cieux conspirer ma chute, — et le ciel et la terre me rejeter comme abject, — puissent les chagrins tomber à flots sur ma retraite maudite, — et une horreur indestructible couver dans mon sein, — puisse la beauté m’accabler à jamais de sombres regards — et le désespoir profond me poursuivre sans relâche, — avant que Rosalinde m’ait convaincu de déloyauté, — avant que Rosalinde m’accuse de froideur.
— Aussi Rosalinde veut-elle t’accorder son amour ; — aussi Rosalinde veut-elle t’avoir toujours en gré.
— Que ce triomphe me rende plus radieux que l’amante de Tithon[1] ! — Puisque Rosalinde cède à Rosader, — que mon visage bannisse tout air chagrin — et s’épanouisse dans les joies de l’affection ! — Et disons que Rosalinde est la bonté unique, — comme Rosalinde est l’unique beauté !
— Eh bien, chasseur, s’écria Ganimède quand cette tendre églogue fut achevée, ne vous ai-je pas bien donné la réplique ? N’ai-je pas joué admirablement la femme ? N’ai-je pas montré autant de répulsion à céder que de complaisance à désirer ? N’ai-je pas témoigné une défiance égale à l’hypocrisie des hommes ? Et, pour réparer tout le mal, ne me suis-je pas empressé de conclure par une douce union d’amour ? Est-ce que Rosalinde n’a pas satisfait son Rosader ?
— En vérité, répondit gaiement Rosader, en secouant la tête et en croissant les bras, Rosader a sa Rosalinde, mais comme Ixion a eu sa Junon : croyant posséder une déesse, il n’embrasse qu’un nuage. En ces jouissances
- ↑ L’Aurore.