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APPENDICE.

— Sans doute, dit Aliéna après avoir lu les vers, cette poésie exprime la passion de quelque pastoureau qui, énamouré de quelque belle pastourelle, a essuyé quelque dur refus, et, en conséquence, se plaint de la cruauté de sa maîtresse.

— Quel troupeau de folles vous faites, vous autres femmes ! s’écria Ganimède. Tantôt vos cœurs sont de diamant et tantôt de cire. Vous êtes charmées qu’on vous fasse la cour, et alors vous mettez votre gloire à faire les sainte-n’y-touche ; et c’est quand vous êtes le plus désirées, que votre dédain est le plus, glacial. Ce défaut est si commun à votre sexe que vous en voyez l’exemple dans la douleur de ce berger, qui trouve sa maîtresse aussi maussade qu’il est amoureux.

— Eh ! répondit Aliéna, supposons, je vous prie, qu’on vous retirât vos habits ! De quel métal êtes-vous donc formé, que vous êtes à ce point satyrique contre les femmes ? Le vilain oiseau qui dégrade son propre nid[1] ! Prends garde, Ganimède, que Rosader ne t’entende !

— C’est ainsi, dit Ganimède, que je soutiens mon rôle. Je parle maintenant comme page d’Aliéna, non comme fille de Gérismond. Qu’on me remette un jupon, et je soutiendrai contre tous que les femmes sont courtoises, constantes, vertueuses, tout au monde.

— À merveille ! fit Aliéna.

Et sur ce, elles se remirent en route et marchèrent jusqu’au soir. Alors, arrivant à une charmante vallée entourée de montagnes que couvraient de beaux arbustes, elles découvrirent une prairie où paissaient deux troupeaux. Puis, regardant aux alentours, elles aperçurent un vieux berger et un jeune pâtre assis l’un près de

  1. De même, la Célia de Shakespeare dit à Rosalinde : « Vous mériteriez qu’on relevât votre pourpoint et votre haut-de-chausses, et qu’on montrât au monde le tort que l’oiseau a fait à son propre nid. »