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APPENDICE.

jeunes années et de si beaux dehors fussent alliés à un si vaillant courage. Mais quand on sut que c’était le plus jeune fils de sir Jehan de Bordeaux, le roi se leva de son trône et l’embrassa, et les pairs l’accablèrent de prévenances et de courtoisies. Tandis qu’il recevait ces félicitations, les dames le favorisaient de leurs regards, spécialement Rosalinde, que la beauté et la valeur de Rosader avaient déjà touchée : mais elle considérait l’amour comme un hochet, comme une passion momentanée qui s’allumait d’un regard et s’éteignait d’un clin d’œil, et aussi ne craignait-elle pas de jouer avec la flamme ; et, pour faire savoir à Rosader qu’elle l’avait en gré, elle détacha un bijou de son cou et l’envoya par un page au jeune gentilhomme. Le prix que Vénus donna à Pâris fut loin de plaire au Troyen autant que ce joyau à Rosader. Ne pouvant la remercier par un cadeau pareil et voulant lui révéler ses sentiments autrement que par des regards, il se retira dans une tente, prit une plume et du papier, et écrivit un beau sonnet qu’il lui envoya. Rosalinde rougit en le lisant, mais elle était çharmée de savoir que l’Amour lui avait attaché un si tendre serviteur.

Rosader, accompagné d’une troupe de gentilshommes qui désiraient être ses familiers, s’en revint chez son frère Saladin. Celui-ci se promenait devant sa porte pour savoir plus vite le sort de son cadet, s’assurant de sa mort et se préparant à célébrer ses funérailles avec une feinte douleur. Tandis qu’il était dans ces réflexions, il leva les yeux et aperçut Rosader qui revenait avec une couronne sur la tête, accompagné d’une bande de joyeux compagnons : il rentra furieux et ferma la porte. Rosader, qui avait vu cela et ne s’attendait pas à une réception si désobligeante, dit pour excuse à ses compagnons que son frère, ayant été à la campagne, s’était absenté,