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LES AVENTURES DE GIANETTO.

porteur était le fils de son très-cher Bindo, et dès qu’il l’eut lue, il l’embrassa aussitôt, disant : « Qu’il soit bienvenu, le fils que j’ai tant désiré ! » Et aussitôt il demanda des nouvelles de Bindo : Gianelto lui répondit qu’il était mort. Sur quoi messire Ansaldo, fondant en larmes, l’embrassa, le baisa et dît : « Je suis désolé de la mort de Bindo, ayant gagné par son aide la plus grande partie de ce que j’ai ; mais si grande est l’allégresse où je suis de te voir, qu’elle mitige cette douleur. » Il le fit mener à son comptoir et ordonna à ses facteurs, à ses commis, à ses écuyers et à tous ses serviteurs d’obéir à Gianetto et de le servir avant lui-même.

Et d’abord il lui confia la clef de son argent comptant et lui dit : « Mon fils, dépense ce que tu voudras, habille-toi et équipe-toi à ta guise, tiens table ouverte et fais-toi connaître ; c’est à toi que je laisse ce soin, et tu me seras d’autant plus cher que tu seras plus estimé de tous.

C’est pourquoi Gianetto se mit à fréquenter les gentilshommes de Venise, à donner des fêtes et des dîners, à faire des largesses, à habiller richement ses gens et à acheter de bons coursiers, et à jouter et à fréquenter les tournois, comme un homme expert en ces exercices, magnanime et courtois en toutes choses, et il se montrait honorable en chaque occasion, et toujours il rendait hommage à messire Ansaldo plus que s’il avait été cent fois son père. Et il sut si habilement se comporter avec toutes sortes de gens, que quasi toute la population de Venise lui voulait du bien, le voyant si sage, si affable, si excessivement courtois ; les femmes elles hommes paraissaient raffoler de lui, et messire Ansaldo ne jurait plus que par lui, tant lui plaisaient sa conduite et ses manières. Il ne se donnait quasi pas une fête à Venise que ledit Gianetto n’y fût invité, tant il était bien vu de chaque personne.