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LA DIANE DE MONTEMAYOR.

demandais, je m’en retournai ouïr dom Félix, lequel en cet instant commençait au son d’une harpe à chanter ce sonnet :

Un temps fut que l’amour mes tristes ans perdait
En espoirs vains, menteurs et par trop inutiles,
Et la fortune encor par mes larmes débiles
Des exemples au monde étranges démontrait.

Mais le temps, découvrant ce qui m’éblouissait.
En mes pas a laissé des marques si utiles
Que plus on ne verra confiances futiles,
Ni qui se plaigne en vain de ce qui l’abusait.

Celle que j’ai aimée autant que je devais,
Au fil de ses amours à connaître m’apprend
Ce que jusqu’à présent n’avait connu mon âme,

Et je crie hautement nuit et jour mille fois :
Ne voyez-vous, amants, ce qui sage vous rend ?
C’est amour, et fortune, et le temps et madame.

La musique prit fin dès l’aube du jour ; je m’efforçai de voir le mien dom Félix, mais l’obscurité de la nuit m’en empêcha. En voyant qu’ils s’en étaient allés, je m’en retournai coucher, pleurant mon malheur. Et étant heure de me lever, je sortis de la maison et m’en allai droit au palais de la princesse, où il me sembla que je pourrais mieux voir ce que je désirais tant, proposant de là en avant me faire appeler Valério si on me demandait mon nom. Étant donc arrivée à la porte du grand palais, je vis venir dom Félix, fort bien accompagné de serviteurs tous richement vêtus d’une livrée de drap couleur céleste, à bandes de velours orangé. Le mien dom Félix portait des chausses de velours blanc ouvragées, et bouffantes de toile d’or turquine ; le pourpoint était de satin blanc déchiqueté et couvert de cannetille d’or, et un collet de velours de même couleur et broderie, et un petit manteau de velours noir brodé d’or et doublé de satin violet égratigné, l’épée, la dague et la ceinture d’or, un