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LES DEUX GENTILSHOMMES DE VÉRONE, ETC.

de l’autorisation du lord Chambellan, a donné à croire que la pièce n’avait pas encore été jouée à l’époque de l’enregistrement, et que l’intendant du théâtre de la reine voulait réserver à la cour la primeur de la comédie nouvelle. Ce qui tendrait à confirmer cette conjecture, c’est que le Marchand de Venise est la dernière des pièces de Shakespeare mentionnées dans le catalogue que Francis Meres publia à la fin de 1598. Le Marchand de Venise aurait donc été représenté primitivement par les comédiens du lord Chambellan dans l’intervalle qui sépare le mois de juillet du mois de décembre de cette année.

Ce qui toutefois diminue la solidité de cette hypothèse savamment conçue par les commentateurs modernes, c’est que, parmi les pièces représentées en 1594 au théâtre de Newington par les troupes réunies du lord Amiral et du lord Chambellan, les livres du chef de troupe Honslowe citent, à la date du 25 août, une Comédie Vénitienne (Venesyan Comedy) qui, s’il faut en croire Malone, pourrait bien être le Marchand de Venise.

J’ai déjà indiqué à l’introduction les sources légendaires auxquelles Shakespeare a puisé les éléments de l’intrigue principale de son merveilleux chef-d’œuvre. Le lecteur connaît déjà, par l’analyse que j’en ai donnée, la ballade de Gernutus, et tout à l’heure il va pouvoir lire à l’Appendice la nouvelle du Pecorone que le poëte semble avoir plus spécialement consultée. L’anecdote racontée par les Gesta Romanorum se retrouve développée dans la nouvelle italienne : je me dispenserai donc de la traduire ici. Mais je ne puis m’empêcher de citer le conte oriental que l’enseigne Thomas Munroe, du premier bataillon de Cypayes, découvrit au siècle dernier dans un manuscrit persan. En voici la traduction :

« On rapporte que, dans une ville de Syrie, un pauvre musulman vivait dans le voisinage d’un riche juif. Un jour il alla trouver le juif et lui dit : « Prête-moi cent dinars, que je puisse établir un commerce, et je te donnerai une part dans les bénéfices. » Ce musulman avait une femme fort belle. Le juif l’avait vue et s’était épris d’elle ; trouvant là une heureuse occasion, il dit : « Je ne ferai pas cela, mais je te prêterai cent dinars, à cette condition que dans six mois tu me les rendras. Mais remets-moi un billet qui me donne le droit, si tu excèdes d’un seul jour le terme convenu, de couper une livre de chair dans la partie de ton corps que je choisirai. » Le juif pensait que par ce moyen peut-être, il pourrait posséder la femme du musulman. Le musulman était consterné et dit : « Pareille chose serait-elle possible ? » Mais, comme sa détresse était extrême, il prit l’ar-