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INTRODUCTION.

déclaré les juifs incapables de remplir aucune fonction civile ; d’autres conciles leur avaient défendu de travailler pour les chrétiens ; les édits royaux leur avaient interdit la possession foncière. Ainsi traqué par la législation, chassé des métiers, repoussé de l’industrie, excommunié du travail, le juif s’ingénia pour vivre : il éluda par l’astuce ce code qui prétendait l’affamer ; il convertit tout son avoir en numéraire et fit le trafic des espèces ; il entassa l’or, l’accapara et le vendit au prix qu’il voulut : il devint usurier. Ce commerce avilissant auquel le chrétien l’avait réduit, le juif le tourna contre le chrétien. Il exploita au profit de la vengeance l’épargne du désespoir. Le chrétien lui avait interdit le gain honnête : il fit aux dépens du chrétien un bénéfice infâme. Le chrétien avait voulu le ruiner, il s’enrichit par la ruine du chrétien.

Mais cet enrichissement même fut fatal aux israélites. L’opulence des mécréants excita la cupidité des croyants. Un seigneur catholique, prince ou baron, était-il embarrassé dans ses finances ? Sans forme de procès, il empoignait quelque richard de la tribu et lui soutirait de l’argent par la torture. Ce fut ainsi que dans l’année 1210, Jean, roi d’Angleterre, emprunta dix mille marcs à un Hébreu de Bristol en lui arrachant huit dents. Le juif était une ferme princière que le bourreau faisait valoir. Ce même Jean, dans un pressant besoin, loua à son frère Richard tous les juifs de ses États pour plusieurs années, ut quos rex excoriaverat, comes evisceraret, afin que le comte vidât ceux qu’avait écorchés le roi, dit Mathieu Pâris. C’était chose toute simple. En 1262, les lords révoltés contre Henri III n’obtinrent l’appui du peuple qu’en lui accordant le pillage du quartier juif à Londres. Trois cents maisons furent saccagées, et sept cents personnes, hommes, femmes, enfants,