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INTRODUCTION.

n’a qu’à murmurer quelques mots d’excuse, et le voilà pardonné. Et non-seulement il est pardonné, mais il lui est permis de revenir à ses premières amours, et d’épouser cette Julia qu’il a délaissée si cruellement, le jour même où Valentin obtient du vieux duc converti la main de sa chère Silvia ! Quelle solution inique et subversive ! Quel encouragement au vice ! Quel renversement des principes élémentaires de toute société ! Les critiques qui poussent ces clameurs sont les mêmes, vous vous en souvenez, qui ont déjà dénoncé à la réprobation publique le dénoûment de Tout est bien qui finit bien, le dénoûment du Cymbeline, le dénoûment du Conte d’hiver, le dénoûment de la Tempête, etc. À les en croire, le comte de Roussillon aurait dû faire plus longue pénitence avant d’être amnistié par Hélène ; Posthumus n’aurait pas dû tendre la main à Iachimo, en lui disant ces simples et grandes paroles : Ma vengeance envers toi, c’est de te pardonner ; Léontes n’aurait pas dû attendrir Hermione par seize années de remords ; enfin Prospéro n’aurait pas dû ouvrir ses bras au fratricide Antonio. Le pardon accordé ici par Valentin à Protée n’est qu’un exemple de plus de l’immorale indulgence accordée systématiquement aux coupables par la comédie de Shakespeare.

Cette immorale indulgence qu’une critique draconienne a signalée à la honte du poëte, signalons-la, nous autres, à sa gloire. Loin de le blâmer, honorons-le d’avoir si souvent proclamé du haut de la scène la prescription de la faute par le repentir et de la rancune par le remords. Remercions-le d’avoir fait du théâtre la vraie chaire et d’avoir prêché la charité, l’oubli des injures, la rémission des offenses dans un siècle où les ministres d’une religion d’amour fulminaient la colère, l’extermination et l’anathème. Admirons-le d’avoir opposé aux prescrip-