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INTRODUCTION.

Une fois ceci établi, que Henry de Southampton est bien l’homme auquel furent adressés et dédiés les sonnets, le mystère avec lequel ceux-ci furent publiés s’explique aisément. On verra à la fin des sonnets avec quelle insistance Shakespeare presse son jeune ami de se marier. Il lui représente sous toutes les formes et avec une incroyable profusion d’images la nécessité du mariage. Or, on sait qu’en 1598, peu de temps après que ces sonnets furent composés, Southampton épousa, malgré la défense formelle de la reine, une femme dont il était épris depuis plusieurs années[1], la belle mistress Varnon, proche parente du comte d’Essex. La reine Élisabeth qui, pour des raisons diverses, n’avait jamais voulu ou pu se marier, était plus sévère encore pour la virginité d’autrui que pour la sienne. Ainsi que le roi de Navarre, dans Peines d’amour perdues, elle avait imposé le célibat comme loi à toute sa cour ; elle voulait, elle aussi, que son palais fût « une petite académie consacrée au repos et à la contemplation. » Comme le roi de la comédie à ses courtisans, Élisabeth avait défendu à Essex et à Southampton d’approcher d’une femme. Le pauvre Southampton se trouvait donc placé, comme Longueville et Dumaine, entre son respect pour la volonté royale et sa passion pour sa belle, entre sa loyauté et son amour. La

  1. Dès le 3 septembre 1595, Rowland Whyte écrivait confidentiellement à sir Robert Sidney : « Milord Southampton courtise avec une excessive familiarité la belle mistress Varnon, tandis que ses amis, observant l’humeur de la reine envers le comte d’Essex, font ce qu’ils peuvent pour la décider à favoriser ces amours ; mais c’est en vain. » L’hostilité constante de la reine au mariage de Southampton est constatée par ce passage d’une autre lettre du même au même, datée du 1er  février 1597 : « Milord de Southampton est fort troublé de l’étrange manière dont le traite Sa Majesté. Quelqu’un lui a joué quelque mauvais tour. Mr  le secrétaire (Cécil) lui a procuré un permis de voyager. Sa belle maîtresse (Élisabeth Varnon) ne cesse de mouiller de larmes son joli visage. Dieu veuille que le départ du comte ne la frappe pas d’une infirmité (la folie) qui est pour ainsi dire héréditaire dans sa famille. »