Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1872, tome 15.djvu/34

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
34
SONNETS ET POÈMES.

beau, et mon mauvais est une femme fardée… Mon démon femelle tache de séduire mon bon ange… Mais mon bon ange est-il devenu démon ? Je puis le soupçonner sans l’affirmer directement. » Quelle situation poignante que celle de Shakespeare alors ! Ce qu’il éprouve, ce n’est pas la douleur d’Alceste, jaloux d’Oronte qu’il hait, c’est le désespoir d’Othello, jaloux de son cher Cassio ! Alceste, au moins, peut encore survivre à sa douleur ; il peut encore chercher sur terre un endroit écarté

Où d’être homme d’honneur on ait la liberté.

Mais Othello, jaloux à la fois de sa femme et de son meilleur ami, ne peut pas survivre à tant de tortures ; il faut qu’il tue et qu’il meure !

Ces angoisses intolérables qu’il a si merveilleusement décrites dans son drame, il y eut un moment où l’auteur d’Othello les éprouva lui-même. Ces doutes, ces défiances, ces crédulités enfantines, Ces soupçons infatigables qui se font cauchemar, la nuit, et vision, le jour, il les a subis !

La jalousie, cet épouvantail des heureux, la jalousie, cette chauve-souris des crépuscules d’amour, Shakespeare l’a vue voler dans l’azur de ses illusions, et il s’est senti prendre aux cheveux par ces griffes hideuses !

Enfin, l’incertitude cesse. L’ami qui l’avait trompé avoue tout en pleurant. Que fait Shakespeare ? Il trouve dans la tendresse infinie de son cœur un dénoûment sublime. Il pardonne.

Il ne fait pas une récrimination, pas un reproche ; il n’a pas une parole amère. « Le chagrin de l’offenseur, dit-il tristement à son ami au xxxie siècle sonnet, n’apporte qu’un faible soulagement à celui qui porte la lourde croix de l’offense. Ah ! mais les larmes que tu verses sont la riche rançon de tous tes torts. » Et il ajoute dans le sonnet suivant : « N’aie plus de chagrin de ce que tu as fait. Les roses ont des épines, et les fontaines