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LES PLAINTES D’UNE AMOUREUSE.

XLI

» Cela dit, il abaissa ses yeux humides dont le regard était jusque-là pointé sur mon visage. Une rivière de larmes, s’en échappant comme d’une source, s’écoulait rapidement le long de ses joues en gouttes amères. Oh ! que de grâces le ruisseau empruntait à ce canal dont les roses éclatantes prenaient une splendeur nouvelle sous le cristal liquide qui les couvrait !

XLII

» Ô mon père, quelle infernale sorcellerie il y a dans l’étroite sphère d’une seule larme ! Quand les yeux sont inondés, quel est le cœur de roc qui peut rester sec ? Quelle est la poitrine assez froide pour ne pas se réchauffer ? Effet contradictoire des pleurs ! la passion brûlante et la chasteté glacée y perdent, l’une ses feux, et l’autre sa froideur.

XLIII

» Car, voyez ! son émotion, qui n’était qu’une ruse de métier, fit sur-le-champ dissoudre en larmes ma raison. Alors je dépouillai ma blanche étole de pudeur, je rejetai toute chaste sauvegarde et tout scrupuleux décorum ; et, me montrant à lui comme il se montrait à moi, je fondis toute à mon tour ; avec cette différence qu’il m’avait versé le poison, et que je lui versais le baume.

XLIV

» Il employait à ses artifices une masse de matière subtile à laquelle il donnait les formes les plus étranges :