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LE VIOL DE LUCRÈCE.

lent la rage brutale et la férocité ; mais la fine œillade que lance l’astucieux Ulysse indique le penseur profond et le gouvernant souriant.

CCI

Là vous pourriez voir le grave Nestor dans l’attitude de l’orateur, encourageant, pour ainsi dire, les Grecs au combat, faisant de la main un geste sobre qui commande l’attention et charme la vue. Sa barbe, d’un blanc argenté, semble remuer au gré de sa parole, et de ses lèvres s’échappe comme une haleine qui ondule jusqu’au ciel en spirales légères.

CCII

Autour de lui est une masse de figures béantes qui semblent dévorer ses sages avis, toutes avec leurs physionomies diverses, mais absorbées par une commune attention, comme si quelque sirène enchantait leur oreille : quelques têtes sont plus hautes, d’autres plus basses, selon le caprice délicat du peintre ; beaucoup de fronts, presque dissimulés derrière les autres, semblent vouloir se dresser pour ajouter à l’illusion.

CCIII

Ici le bras d’un homme repose sur l’épaule d’un autre, l’oreille du voisin faisant ombre sur son nez ; ici un auditeur, trop foulé, regimbe tout bouffi et tout rouge ; un autre, étouffé, semble écumer et jurer ; ils donnent de tels signes de rage dans leur rage, que la crainte de perdre les paroles d’or de Nestor semble seule les empêcher de se battre à coups d’épée.