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SONNETS ET POÈMES.

Catherine. Il n’est pas jusqu’à don Adriano d’Armado qui ne s’écrie, dans sa passion pour la paysanne Jacquinette : « Adieu, valeur ! rouille-toi, rapière ! tais-toi, tambour ! car votre maître est amoureux. Oui, il aime ! Que quelque dieu de la rime impromptue m’assiste, car, j’en suis sûr, je vais devenir faiseur de sonnets. »

Comme à don Adriano, l’amour a fait faire des sonnets à trois poëtes fameux : à Pétrarque en Italie, à Ronsard en France, à Shakespeare en Angleterre.

II

Les sonnets de Shakespeare sont encore aujourd’hui une énigme pour les historiens et pour les critiques. La dédicace mystérieuse qui les accompagnait dans la première édition, le désordre involontaire ou préconçu dans lequel ils parurent, l’obscurité de certains passages ont donné lieu à mille interprétations diverses. Les uns ont déclaré que ces sonnets étaient uniquement adressés à une femme ; les autres, qu’ils étaient adressés uniquement à un homme ; ceux-ci en ont attribué l’inspiration à un personnage bizarre qui n’aurait été ni homme, ni femme, ou plutôt qui aurait été l’un et l’autre ; ceux-là y ont vu autant de petits poëmes séparés, adressés à diverses personnes ; d’autres enfin, et ce sont les plus nombreux, ont soutenu qu’ils étaient dédiés à des créatures imaginaires, n’ayant jamais existé que dans le cerveau du poëte. Déroutée par tant de contradictions, la postérité, si curieuse pourtant de tout ce qui porte le nom de Shakespeare, a fini par perdre patience : ne pouvant résoudre l’énigme, elle a donné sa langue aux chiens et jeté par dépit ce livre impertinent qu’elle ne comprenait pas. C’est ainsi que les sonnets qui, au temps d’Élisabeth, étaient plus celèbres que les drames même de Shakes-