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LE VIOL DE LUCRÈCE.

qui dorment obscurément dans des cavernes. La moindre poussière transparaît à travers une cloison de cristal ; et, si les hommes peuvent dissimuler leurs crimes sous des airs effrontés et impassibles, les visages des pauvres femmes sont les registres de leurs propres fautes.

CLXXX

Que nul ne récrimine contre la fleur flétrie, mais que tous s’en prennent au rude hiver qui a tué cette fleur. Ce n’est pas ce qui est dévoré, mais ce qui dévore, qui mérite le blâme. Oh ! ne dites pas que c’est la faute des pauvres femmes, si elles sont ainsi envahies par les torts des hommes ; il faut blâmer ces superbes seigneurs qui imposent aux faibles femmes le vasselage de leur ignominie.

CLXXXI

Lucrèce vous offre l’exemple, Lucrèce forcée la nuit, par la menace violente d’une mort immédiate et de l’infamie qui devait s’ensuivre pour elle, à outrager son époux ; de tels dangers étaient attachés à la résistance, qu’une terreur mortelle se répandit dans tout son corps : et qui ne peut abuser d’un corps inanimé ?

CLXXXII

Cependant une douce patience invite la belle Lucrèce à s’adresser à l’humble contrefaçon de sa propre douleur : « Ma fille, dit-elle, pour quel motif laisses-tu échapper ces larmes qui pleuvent sur tes joues ? Si tu pleures pour le mal que je supporte, sache, douce enfant, que je ne m’en trouve guère mieux ; si des larmes pouvaient me soulager, les miennes y réussiraient.