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LE VIOL DE LUCRÈCE.

époux ; mon honneur au couteau qui me frappe ; ma honte à celui qui ruina ma réputation ; et, quant à ma réputation à venir, qu’elle soit livrée à ceux qui me survivent et ne pensent pas mal de moi !

CLXXIII

» Collatin, tu exécuteras ce testament. Oh ! comme j’aurai été exécutée moi-même quand tu le connaîtras ! Mon sang lavera le scandale de mon malheur ; la fin éclatante de ma vie rachètera la noire action de ma vie. Faible cœur, ne faiblis pas, mais dis résolument : Ainsi soit-il ! Cède à mon bras, mon bras te vaincra ; toi mort, il succombe avec toi, et tu triomphes avec lui ! »

CLXXIV

Quand Lucrèce eut tristement arrêté ce plan de mort, et qu’elle eut essuyé la perle amère de ses yeux brillants, elle appela d’une voix brisée et sourde sa suivante. Celle-ci court près de sa maîtresse avec l’empressement de l’obéissance, car le devoir, en son agile essor, vole avec les ailes de la pensée. Les joues de la pauvre Lucrèce semblent à la suivante comme les prairies d’hiver quand la neige fond au soleil.

CLXXV

Elle adresse à sa maîtresse un timide bonjour d’une voix douce et lente, vrai signe de la modestie ; elle se conforme par son air triste à la tristesse de sa dame, dont la figure porte la livrée du chagrin, mais elle n’ose lui demander pourquoi ces deux soleils sont éclipsés par tant de nuages, et pourquoi ces belles joues sont inondées par la douleur.