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LE VIOL DE LUCRÈCE.

CLXV

Comme la pauvre biche effrayée qui s’arrête en observation, se demandant avec effarement par quelle route fuir, ou comme quelqu’un qui, engagé dans les détours d’un labyrinthe, a peine à trouver le chemin, Lucrèce est en proie aux conflits du doute : lequel vaut mieux de vivre ou de mourir, quand la vie est déshonorée, et quand la mort elle-même est la dette du remords ?

CLXVI

« Me tuer ? dit-elle ; hélas ! ne serait-ce pas rejeter sur ma pauvre âme la souillure de mon corps ? Ceux qui perdent la moitié de leur bien doivent montrer plus de patience que ceux dont la ruine a englouti tout l’avoir. C’est une mère impitoyable que celle qui, ayant deux doux enfants, quand la mort lui enlève l’un, veut tuer l’autre et ne plus nourrir.

CLXVII

» De mon corps ou de mon âme, lequel m’était le plus précieux, quand l’un était pur et l’autre encore divine ? Lequel des deux doit m’être le plus cher, quand l’un et l’autre ont été ravis au ciel et à Collatin ? Hélas ! déchirez l’écorce du pin altier, et ses feuilles se flétriront, et sa sève se tarira. Ainsi de mon âme, dont l’écorce a été déchirée.

CLXVIII

» Sa demeure est mise à sac, son repos brisé, sa retraite battue en brèche par l’ennemi, son sanctuaire