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LE VIOL DE LUCRÈCE.

CLV

Cependant, la plaintive Philomèle avait terminé l’harmonieux chant de sa douleur nocturne, et la nuit solennelle descendait d’une allure lente et triste dans l’affreux enfer. Déjà le matin rougissant prête sa lumière à tous les yeux limpides qui veulent la lui emprunter ; mais la sombre Lucrèce se reproche d’y voir, et voudrait être à jamais cloîtrée dans la nuit.

CLVI

Le jour révélateur se glisse à travers toutes les fissures, et semble la dénoncer sur son siége de douleur. « Ô œil des yeux, lui dit-elle en sanglotant, pourquoi pénètres-tu à travers ma fenêtre ? Cesse de m’épier ainsi. Agace de la caresse de tes rayons les yeux encore endormis ; ne stigmatise pas mon front de ta lumière perçante, car le jour n’a rien à faire avec ce qui se fait la nuit. »

CLVII

Ainsi elle s’en prend à tout ce qu’elle voit ; le vrai chagrin est puéril et irritable comme un enfant qui, dès qu’il boude, n’est satisfait de rien. Ce sont les vieilles douleurs, et non les jeunes, qui sont douces : la durée dompte les unes ; les autres, dans leur violence, ressemblent au nageur inexpérimenté qui plonge trop profondément, et par un excès d’effort se noie faute de sagesse.

CLVIII

Ainsi, abîmée dans une mer d’angoisses, Lucrèce se dispute avec tout ce qu’elle voit, et assimile tout à son