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LE VIOL DE LUCRÈCE.

terreur ! Eh bien, Lucrèce, plus à plaindre, voit réellement à son brusque réveil une apparition qui justifie ses alarmes.

LXVI

Assiégée, accablée de mille frayeurs, elle reste tremblante comme un oiseau frappé à mort ; elle n’ose regarder ; mais, tout en fermant les yeux, elle voit paraître des spectres qui assument en un moment les plus hideuses formes ; ces visions sont les créations du cerveau affaibli, qui, irrité de ce que les yeux reculent devant la lumière, les poursuivent dans les ténèbres des plus affreux spectacles.

LXVII

La main de Tarquin, arrêtée sur cette gorge nue (cruel bélier d’ébranler un rempart d’un tel ivoire !) peut sentir le cœur de Lucrèce qui, pauvre assiégé en détresse, se frappe à mort, se soulève et s’affaisse, et par ses secousses fait trembler le bras du ravisseur. Ceci surexcite la furie de Tarquin. Plus de pitié : il va faire la brèche et pénétrer dans la douce enceinte.

LXVIII

D’abord sa langue fait entendre une fanfare de parlementaire. L’ennemie défaillante lève au-dessus du drap blanc son menton plus blanc encore pour connaître le motif de ce brusque appel ; il tâche de l’expliquer par un geste muet ; mais elle, avec de véhémentes prières, insiste pour savoir sous quelle couleur il commet un tel attentat.

LXIX

Tarquin répond : « La couleur même de ton teint, qui fait pâlir le lis de dépit et rougir de honte la rose, me jus-