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LE VIOL DE LUCRÈCE.

Ils montraient le triomphe de la vie dans le domaine de la mort, et les sombres couleurs de la mort dans l’éclipse de la vie. L’une et l’autre trouvaient dans ce sommeil une telle harmonie qu’il semblait qu’elles ne fussent plus rivales et que la vie vécût dans la mort, comme la mort dans la vie.

LIX

Ses seins, globes d’ivoire cerclés de bleu, étaient comme deux mondes vierges non conquis, ne connaissant d’autre joug que celui de leur seigneur qu’ils honoraient de leur plus loyale fidélité ! Ces mondes inspirent une ambition nouvelle à Tarquin, qui, sombre usurpateur, va tenter de précipiter de ce beau trône le maître légitime.

LX

Que pouvait-il voir qui ne provoquât sa contemplation ? Que pouvait-il contempler qui n’excitât son désir ? Ce qu’il apercevait le confirmait dans sa passion, et il fatiguait dans son désir son regard désireux. Il admirait avec plus que de l’admiration ces veines d’azur, cette peau d’albâtre, ces lèvres de corail, et la fossette de ce menton blanc comme la neige.

LXI

Comme le lion farouche joue avec sa proie, dès que sa faim dévorante a été satisfaite par la victoire, ainsi Tarquin s’arrête sur cette âme endormie, tempérant par l’extase la furie de sa luxure, contenu, mais non dompté ; car, étant si près d’elle, son regard, qui un moment a retardé l’explosion, excite maintenant avec un surcroît de violence le sang de ses veines.