Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1872, tome 15.djvu/213

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
213
LE VIOL DE LUCRÈCE.

XV

Mais Lucrèce, n’ayant jamais affronté les yeux d’un étranger, ne pouvait saisir le sens de leur éloquent regard, ni déchiffrer les secrets subtils brillamment inscrits sur les marges transparentes de pareils livres. Elle ne sentait aucun appât inconnu, ne redoutait aucune amorce ; et tout ce qu’elle devinait de ce regard libertin était que les yeux de Tarquin étaient ouverts à la lumière.

XVI

Tarquin lui raconte la gloire acquise par son mari dans les plaines de la fertile Italie ; il couvre d’éloges le grand nom de Collatin, illustré par sa mâle chevalerie, ses armes ébréchées, ses lauriers, ses victoires. Elle exprime sa joie en élevant les mains, et par ce geste muet remercie le ciel de ces succès.

XVII

Pour mieux dissimuler le projet qui l’amène, il s’excuse d’être ainsi venu. Nul indice nébuleux d’un orage menaçant n’apparaît encore dans son ciel serein. Enfin la sombre nuit, mère de l’inquiétude et de la frayeur, déploie ses sinistres ténèbres sur le monde, et relègue le jour dans sa prison souterraine.

XVIII

Alors Tarquin se fait conduire à son lit, affectant la lassitude et la fatigue d’esprit ; car, après le souper, il a passé une partie de la nuit à causer avec la chaste Lu-