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VÉNUS ET ADONIS.

pleurant la mort d’un vivant qui ne peut mourir que par la ruine totale de la race humaine ! Car, lui mort, la beauté périt avec lui, et, la beauté morte, le noir chaos revient.

CLXXI

» Fi ! fi donc ! fol amour, tu es aussi craintif qu’un avare chargé de trésors et environné de voleurs ; des chimères, indistinctes pour l’œil et pour l’oreille, inquiètent ton cœur lâche de fausses alarmes. » À ces mots, elle entend un cor joyeux, et bondit d’aise, elle si abattue naguère.

CLXXII

Comme le faucon vers le leurre, elle vole ; son pas est si léger qu’il ne ploie pas l’herbe ; et dans son élan l’infortunée aperçoit son bien-aimé au pouvoir du hideux sanglier ; ses yeux, comme assassinés par ce spectacle, se voilent, ainsi que des astres offusqués par le jour.

CLXXIII

De même que le limaçon, pour peu qu’on touche à ses cornes délicates, rentre avec peine dans sa caverne d’écaille, et là demeure enfermé dans l’ombre, craignant pour longtemps encore de sortir de nouveau, ainsi, à ce sanglant spectacle, les yeux de Vénus se sont rejetés dans les sombres cavités de sa tête.

CLXXIV

Là ils remettent leur fonction et leur lumière au pouvoir du cerveau troublé, qui leur commande de s’associer à jamais à la nuit affreuse et de ne plus blesser le cœur