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VÉNUS ET ADONIS.

Vénus qui tout à l’heure outrageait la mort ; maintenant elle ne prononce qu’avec vénération ce nom odieux ; elle l’appelle la reine des tombes, la tombe des rois, l’impérieuse souveraine de tous les êtres mortels.

CLXVII

« Non, non, dit-elle, Mort suave, je ne faisais que badiner. Pourtant, pardonne-moi, j’ai éprouvé une sorte d’effroi, quand j’ai rencontré le sanglier, cette bête sanguinaire, qui ne connaît pas de pitié, qui est toujours féroce. Voilà pourquoi, aimable spectre (je dois confesser la vérité), je récriminais contre toi, craignant que mon bien-aimé n’eût péri.

CLXVIII

» Ce n’est pas ma faute ; le sanglier a provoqué ma langue ; venge-toi sur lui, invisible souveraine ; c’est lui, la hideuse créature, qui t’a outragée ; je n’étais que l’instrument, il est l’auteur de la calomnie. La douleur a deux langues, et jamais femme n’a pu les gouverner toutes deux sans avoir l’esprit de dix femmes. »

CLXIX

Ainsi, dans l’espoir qu’Adonis est vivant, elle calme ses vives appréhensions ; et, pour assurer le salut de son bel amant, elle flatte humblement la Mort, lui parle de ses trophées, de ses statues, de ses sépulcres, et lui rappelle ses victoires, ses triomphes, ses gloires.

CLXX

« Ô Jupiter ! dit-elle, quelle folle j’étais ! de quelle niaiseries, de quelle faiblesse d’esprit j’ai fait preuve, en