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VÉNUS ET ADONIS.

nesse ; ne cherchez pas à me connaître avant que je me connaisse moi-même ; il n’est pas de pêcheur qui n’épargne le trop menu fretin ; la prune mûre tombe, la verte tient ferme, ou, cueillie trop tôt, elle est aigre au goût.

LXXXIX

» Voyez ! le consolateur du monde, épuisé de sa course, a terminé au couchant la tâche brûlante de sa journée ; le hibou, héraut de la nuit, hue : il est très-tard ! les moutons sont entrés au bercail, les oiseaux à leur nid ; et les nuages noirs comme le charbon qui estompent la lumière du ciel nous somment de partir et de nous dire bonsoir.

XC

» Laissez-moi donc vous dire bonsoir, et dites de même ; si vous me dites bonsoir, vous aurez un baiser. » — « Bonsoir, » dit-elle ; et, avant qu’il ait dit adieu, le doux prix du départ est payé ; les bras de Vénus étreignent tendrement le cou d’Adonis ; alors ils semblent confondus ; le visage adhère au visage.

XCI

Enfin Adonis haletant se dégage et recule sa bouche de corail, dont Vénus savoure d’une lèvre avide la moiteur céleste, s’enivrant de ce suc délicieux et se plaignant toujours d’être altérée. Tous deux tombent à terre, les lèvres collées, — lui excédé de cette abondance, elle affamée par cette disette.