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VÉNUS ET ADONIS.

de sirène a doublé ma souffrance. J’étais assez accablée sans ce surcroît qui m’écrase. Mélodieux désaccord ! dissonance d’une harmonie céleste ! délicieuse musique à l’oreille, au cœur blessure déchirante !

LXXIII

« Si, aveugle, je ne pouvais que t’entendre, mon oreille aimerait cette intime et invisible beauté. Si j’étais sourde, ton être extérieur ferait tressaillir toutes les parties sensibles de mon être. Fussé-je sans yeux et sans oreilles pour voir et entendre, je t’aimerais encore par le toucher.

LXXIV

» Supposons que le sens du tact me fût enlevé, et que je ne pusse ni voir, ni entendre, ni toucher, et qu’il ne me restât plus que l’odorat, mon amour pour toi n’en serait pas moins grand ; car de l’alambic de ton visage exquis sort une haleine embaumée qui engendre l’amour par émanation.

LXXV

» Oh ! mais quel banquet tu offrirais au goût, qui nourrit et alimente les quatre autres sens ! Ne souhaiteraient-ils pas que le festin durât toujours, en commandant au soupçon de fermer la porte à double tour, de peur que la jalousie, cet hôte amer et malvenu, ne troublât la fête en s’y glissant ? »

LXXVI

Une fois encore se rouvrait le portail de rubis qui avait livré un si suave passage aux paroles d’Adonis : telle une