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SONNETS.

Quand la guerre dévastatrice renversera les statues, et que les tumultes déracineront l’œuvre de la maçonnerie, ni l’épée de Mars, ni le feu ardent de la guerre n’entameront la tradition vivante de votre renommée.

En dépit de la mort et de la rage de l’oubli, vous avancerez dans l’avenir ; votre gloire trouvera place incessamment sous les yeux de toutes les générations qui doivent user ce monde jusqu’au jugement dernier.

Ainsi, jusqu’à l’appel suprême auquel vous vous lèverez vous-même, vous vivrez ici sous le regard épris de la postérité.

CLIV

Est-il dans le cerveau humain une idée, que puisse fixer l’encre, qui n’ait été employée à te représenter mes vrais sentiments ? Reste-t-il maintenant rien de nouveau à dire ou à écrire pour exprimer mon amour ou ton rare mérite ?

Non, doux enfant. Comme dans nos prières à Dieu, je suis forcé chaque jour de redire la même chose, en trouvant neuve cette vieillerie : « Tu es à moi, je suis à toi, » comme le premier jour où j’ai sanctifié ton beau nom.

Aussi, notre amour, dans son revêtement d’éternelle jeunesse, est à l’abri de la poussière injurieuse des siècles ; il ne donne pas prise aux rides fatales, et à jamais il fait du temps son page ;

Devant retrouver toujours vivante ici l’image première du bien-aimé, alors qu’elle sera morte apparemment sous les formes extérieures de ce monde éphémère.