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SONNETS.

Ô effrayante réflexion ! Comment, hélas ! dérober à jamais à l’écrin du temps son plus beau bijou ? Quelle main est assez forte pour repousser son pied rapide ? Quel moyen de sauver la beauté de ses ravages ?

Ah ! aucun, si ce n’est ce miracle que mon amour resplendisse à jamais dans l’encre noire !

CLII

Oh ! comme la beauté semble plus belle lorsqu’elle est embaumée par la vérité ! La rose paraît charmante, mais nous la trouvons plus charmante à cause du suave parfum qu’elle recèle.

L’églantine a des couleurs aussi vives que la teinte parfumée de la rose ; hérissée d’épines comme la rose, elle a la même coquetterie, quand l’été soulève de son souffle le masque de ses bourgeons.

Mais, comme l’apparence est sa seule vertu, elle vit dans le délaissement et se fane dans l’indifférence. Elle meurt tout entière ! Il n’en est pas ainsi de la rose suave ; car de ses feuilles mortes est faite la plus suave odeur.

De même, quand votre belle et aimable jeunesse sera fanée, mon vers en distillera l’essence.

CLIII

Ni le marbre, ni les mausolées dorés des princes ne dureront plus longtemps que ma rime puissante. Vous conserverez plus d’éclat dans ces mesures que sous la dalle non balayée que le temps barbouille de sa lie.