Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1872, tome 15.djvu/12

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
12
SONNETS ET POÈMES.

eu son messie dans Aristote. Ce n’était donc pas la nature qu’il fallait étudier ; on n’avait plus qu’à épeler le catéchisme grec, L’humanité devait avoir à jamais le même précepteur qu’Alexandre.

N’est-ce pas une chose étrange que le seizième siècle, qui a détruit la scolastique en philosophie, ait voulu la faire revivre en littérature, et que, tandis que la Réforme religieuse chassait Aristote, la Renaissance littéraire le restaurât ? Oui, de même que l’école théologique du moyen âge, l’école classique du seizième siècle voulait enfermer la pensée humaine dans certaines formules infranchissables. Celle-ci proscrivait la liberté dans l’art, comme celle-là la liberté dans la foi. La même guerre que le nominalisme avait faite à Abailard, l’Académie l’a faite à Corneille.

Ce sont toujours les règles d’Aristote que les critiques, comme les théologiens, invoquent. Scudéry parle comme Duns Scott, La Harpe prêche comme Ockam.

Unité de temps ; unité de lieu ; incompatibilité du sublime et du grotesque, du rire et des pleurs ; la tragédie, prison des princes et des héros ; la comédie, bagne de la bourgeoisie et du peuple : voilà les principes auxquels les scolastiques littéraires prétendaient à jamais soumettre l’art théâtral. Bien peu de personnes savent que les discussions littéraires qui agitèrent tant la grande France évanouie de 1830, divisaient, il y a plus de deux cent soixante ans, l’Angleterre d’Élisabeth. L’insuccès de la tentative euphuiste contre la langue de Shakespeare n’avait pas découragé les classiques. En 1595, ils reparurent triomphalement, tenant à la main un livre intitulé Défense de la Poésie.

Ce livre, dirigé contre le théâtre vivant, était exhumé d’une tombe. L’auteur, sir Philipp Sidney, était mort depuis neuf ans. Un ouvrage signé d’un pareil nom dut être à cette époque un événement considérable. Sidney, neveu de Leicester, proclamé par Élisabeth le premier che-