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SONNETS.

j’ajouterai un commentaire à ton accusation. Dis que je suis boiteux, et je trébucherai soudain, sans faire aucune défense contre tes arguments.

Afin de couvrir d’un prétexte une rupture désirée, tu ne pourras, amour, faire pour ma disgrâce la moitié de ce que je ferai : sachant ta volonté, j’étranglerai notre liaison, et j’aurai l’air d’un étranger.

Je serai absent de tes promenades ; et, sur mes lèvres, ton doux nom bien-aimé ne se posera plus jamais, de peur, indigne profane, que je ne lui fasse tort, en parlant par hasard de notre vieille liaison.

Pour toi, contre moi-même, je m’engage à un réquisitoire, car je ne dois jamais aimer qui tu hais.

XCIII

Donc hais-moi, si tu veux ; maintenant, si jamais. Maintenant que le monde est ligué pour contrarier ma vie, joins-toi à la rancune du sort, fais-moi plier tout de suite, et ne viens pas m’accabler après coup.

Ah ! quand une fois mon cœur aura échappé à ce désastre, n’arrive pas à l’arrière-garde du malheur vaincu. Ne donne pas à une nuit de vent un lendemain de pluie, en ajournant la catastrophe préméditée.

Si tu veux m’abandonner, ne tarde pas à le faire ; n’attends pas que les autres petites misères aient satisfait leur dépit, mais arrive au premier rang. Ainsi je goûterai tout d’abord le pire de ce que me réserve la fortune.