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SONNETS ET POÈMES.

sance eut ses enthousiastes en Angleterre comme en France. Pour ces ultras littéraires, il ne s’agissait de rien moins que de supprimer le travail de l’esprit humain pendant quinze siècles, de raturer le moyen âge et de dater la civilisation de l’antiquité. Cle n’était pas seulement la littérature qu’il fallait renouveler, c’était la langue ; ce n’était pas seulement le style, c’étaient les mots. Ici le vieil idiome anglo-saxon fut déclaré barbare, comme là le vieil idiome d’oil. À Londres, la langue de Chaucer et de Gower fut condamnée au nom du goût, comme à Paris celle de Marot et de Commines.

Des deux côtés de la Manche, les exaltés de la Renaissance semblaient s’entendre et se donner le mot. En France, la pléiade classique avait, dès 1549, publié son programme littéraire dans le livre de du Bellay, intitulé Défense et illustration de la langue française. S’adressant à la nation entière, elle lui disait :

« Là donc, François, marchez courageusement vers cette superbe cité romaine, et de ces serves dépouilles ornez vos temples et vos autels. Ne craignez plus ces oies criardes, ce fier Manlie et ce traître Camille, qui sous ombre de bonne foi vous surprennent tout nuds, comptant la rançon du Capitole. Donnez en cette Grèce menteresse, et y semez encore un coup la fameuse nation des Gallo-Grecs. Pillez-moi sans conscience les sacrés trésors de ce temple Delphique, ainsi que vous avez fait autrefois, et ne craignez plus ce muet Apollo ni ses faux oracles. Vous souvienne de votre ancienne Marseille, seconde Athènes, et de votre Hercules Gallique tirant les peuples après lui par les oreilles avec une chaîne attachée à sa langue. »

Ce pillage de la Grèce et de l’Italie auquel la pléiade conviait les fils de la Gaule, les Euphuistes (c’est le nom que la nouvelle école prit en Angleterre) y provoquèrent également les barbares Anglo-Saxons. Les Euphuistes