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INTRODUCTION,

vernement révolutionnaire et niée par le droit divin, c’est la patrie menacée de partage, c’est la civilisation menacée de cataclysme. En faisant périr Henry Percy de la main de Henry de Montmouth, malgré le récit des chroniqueurs qui attribuent cette mort à une main inconnue, le poëte a violé la vérité historique, afin de symboliser par un fait éclatant la victoire remportée sur le chaos du moyen âge par l’ordre moderne,

La bataille de Shrewsbury est gagnée. Mais la tâche n’est pas finie encore. Le civilisateur a écrasé la barbarie ; il doit compléter son œuvre en proscrivant la corruption. Ici la lutte change de caractère : elle quitte le terrain tragique pour le terrain de la comédie.

Des critiques célèbres, Johnson et Hazlitt, ont blâmé la rigoureuse sentence prononcée par Henry V contre l’ancien compagnon de sa jeunesse. Mais se figure-t-on une autre conclusion ? Se figure-t-on Falstaff restant le favori du roi, comme il l’avait été du prince de Galles ? Falstaff, premier ministre de Henry V ! Apicius, conseiller d’État de Marc-Aurèle ! Voit-on ce muids vivant, ce professeur de libertinage, ce suppôt de cabaret, ce hauteur de lupanars, cet apôtre de la débauche, associé au gouvernement d’un grand peuple ! Mais, si cet absurde rêve avait pu se réaliser, le poëte lui-même nous a dit, par la voix de Henry IV mourant, ce que le monde eût vu. L’Angleterre, régie par ce prodigieux truand, fut devenue la bohème du vice : elle se serait peuplée de « tous les singes de la fainéantise accourus de tous les pays, « Falstaff est tout-puissant : « Debout la folie ! Vous tous sages conseillers, arrière !… Et maintenant, États voisins, purgez-vous de votre écume. Avez-vous quelque ruffian qui jure, boive, danse, fasse ripaille la nuit, vole, assassiné et commette les plus vieux forfaits de la façon la plus nouvelle ? Soyez heureux, il ne vous troublera